Villa El Salvador : la ville qui s’est formée dans le désert

 

Voyage au Pérou

Villa El Salvador : la ville qui s’est formée dans le désert
3.3/5 - (3 votes)

Villa El Salvador est une ville à part entière qui se situe dans la banlieue sud de Lima. C’est une petite ville péruvienne qui compte actuellement un peu plus de 350 000 habitants. Villa El Salvador est une ville calme qui a reçu le titre de « Messagère de la paix » par l’ONU en 1987. Toutefois, pour arriver à ce statut, les habitants ont dû se battre et d’ailleurs, ils sont partis de rien en 1971. Découvrez l’histoire de cette ville née dans le désert.

Villa El Salvador

L’origine de la ville

La capitale du Pérou, qu’est Lima est surpeuplée dans les années 70 ce qui a poussé la majorité des habitants à migrer en zone rurale. Parmi ces habitants, on retrouve un groupe de personnes mal logées dont la plupart sont des paysans qui décidèrent de s’installer sur des terrains encore non occupés, mais qui appartenaient à des propriétaires privés. Ces derniers ordonnent d’ailleurs l’expulsion de ces paysans de leur terrain, malheureusement, l’expulsion s’est vite transformée en une confrontation avec les forces de l’ordre. Le bilan de la confrontation a affiché un mort et de nombreux blessés.
Face à ce triste bilan, le gouvernement a décidé d’intervenir et de calmer le jeu puisqu’un important évènement devait avoir lieu à Lima. Pour calmer les paysans mécontents et sans domicile fixe, le gouvernement leur a donné des terrains vagues dans une zone désertique à la Tablada de Lurin. Le terrain se situe à proximité du site pré-inca de Pachamac.
Malgré le vide et la zone désertique, les paysans ne s’avouent pas vaincus et mettent rapidement en place des abris. Les familles s’entraident pour la construction des maisons et pour la nourriture. Des assemblées populaires ont été votées pour décider de ce qu’il fallait faire, mais malgré ces institutions, chaque habitant avait droit à la parole. C’est grâce à cette forte solidarité que s’est formée petit à petit la Villa El Salvador.

L’évolution de la ville au fil des ans

Même si les habitants sont partis de rien, l’évolution de la ville s’est quand même faite rapidement. Ainsi, en :
– 1971 : les habitants se sont installés sur le terrain et ont réussi cette même année à ériger une paroisse (août), la première école (septembre) et le premier collège secondaire « Fé y Alegria » (novembre)
– 1972 : cette année a été marquée par la première rentrée scolaire au mois d’avril
– 1973 : c’est durant cette année que les habitants ont voté la première convention qu’ils appelleront CUAVES ou communauté urbaine autogestionnaire de la Villa El Salvador.
– 1974 : les habitants ont mis en place la fondation du centre culturel Centro de communicacion popular
– 1975 : l’inauguration de l’éclairage public s’est déroulée le jour de Noël de cette année
– 1976 : cette année fut marquée par la marche sur le palais du gouvernement au mois d’avril et par la mise en place de la deuxième convention de la CUAVES au mois de septembre. La marche a réuni un peu plus de 30 000 pobladores venus exiger une réponse aux questions d’éducation
– 1977 : la ville participe à la grève générale contre la dictature militaire
– 1978-1979 : la ville participe aux grèves nationales
– 1979 : au mois d’août de cette année, Villa El Salvador installe l’eau et un réseau d’égouts. Soulignons qu’avant cette installation, la ville a dû acheminer l’eau par le biais de camions citernes. Cette année est également celle durant laquelle la troisième convention de la CUAVES fut votée
– 1980 : dès le mois de janvier, la ville met en place des bassins au bas d’une pente pour purifier les eaux usées grâce à l’action du soleil. Ces installations ont permis de créer une zone d’agriculture et d’élevage même si la zone sur laquelle la ville a été bâtie est désertique
– 1982 : le conseil exécutif communal provisoire est mis en place (juillet), un plan intégral de développement le la ville est publiée (juillet) et deux pistes goudronnées voient le jour et les routes A et B furent alors inaugurées au Noël 1982
– 1983 : au mois de mai, Villa El Salvador qui était auparavant un simple bidonville obtient la qualification de ciudad (cité) et le district de Villa El Salvador, province de Lima a été créé. Pour les habitants, qui ont dépassé le nombre de 150 000, ces titres sont une réelle récompense pour leur travail et leurs efforts en termes d’urbanisme et de plan social. Cette même année, la quatrième convention de la CUAVES est votée et la gauche unie remporte les premières élections municipales au mois de novembre. Au mois de décembre, la fédération populaire des femmes est mise en place. Elle représente la plus importante organisation au sein de la communauté. Enfin, l’année 1983 signe le début de la terreur du sentier lumineux.
– 1984 : dès le mois de janvier, la CUAVES est reconnue par la municipalité et déclare que la loi communale est la loi municipale
– 1985 : le pape Jean-Paul II rend visite à la ville
– 1986 : le gouvernement annonce au mois de janvier la création d’une zone industrielle avec le soutien des Nations-Unies et la construction du métro Villa El Salvador-Lima-Comas. La ville est également proposée pour le prix Nobel de la paix. Au mois de juillet, les habitants font une marche pour la paix et la justice sociale. Malgré les massacres que le sentier lumineux a perpétrés dans la ville, les habitants luttent à travers cette marche contre le massacre d’environ 300 prisonniers politiques appartenant au sentier lumineux. Au mois d’octobre, la gauche unie remporte les élections municipales.
– 1987 : Villa El Salvador est qualifiée de cité messagère de la paix par l’Unesco. L’Espagne lui attribue également le prix « Principe de Asturias » et au mois de mars, elle accueille Julius Nyrere, ex président de la Tanzanie. L’année 1987 a été considérée comme l’année internationale de la paix.
– 1989 : au mois de janvier, les pobladores organisent une nouvelle marche, mais cette fois-ci, ils dénoncent le plan d’urgence pour l’eau et l’électricité. Au mois de mars, la station de pompage n°4 alimentant la ville en eau est mise en service. Le nombre d’habitants atteint les 300 000 à partir de cette année et les 75 % ont moins de 26 ans.
– 1990 : le dr Juan Escalona, président de l’assemblée nationale de Cuba rend visite à la ville au mois de juillet. En octobre, on assiste au début de la production de tissu dans la zone industrielle alors mise en place.
– 1991 : au mois de février, la ville est chamboulée par une épidémie de choléra et la population se mobilise alors sur le plan de la santé de la CUAVES. La mobilisation a été telle que l’OMS a dû le reconnaître. Le sentier lumineux a commencé à proférer des menaces à partir de cette année.
– 1992-1993 : la ville a connu des années très douloureuses, car c’est durant ces deux années que le sentier lumineux s’est déchaîné sur elle. En 1992, l’adjointe au maire et présidente de la fédération des femmes, Maria Elena Moyano a été assassinée. Au mois d’avril de cette même année, le sentier lumineux a lancé deux voitures piégées contre le centre culturel, il a également détruit l’émetteur stéréo de la ville, attaque l’université libre, les collèges et les habitations. Au mois d’août, le sentier lumineux prend le contrôle sur le conseil exécutif de la communauté. Lorsque le sentier a infiltré la CUAVES, il lui a été facile d’aiguiser les rivalités de la communauté avec le conseil municipal. Des conflits en sont donc nés et la CUAVES a fini par perdre sa crédibilité et sa légitimité auprès des habitants. Au mois de septembre, les habitants se réunissent en masse pour dénoncer les attentats, mais le sentier lumineux ne s’avoue pas vaincu pour autant. En 1993, il assassine Rolando Galinda, alceide de la ville et Alejandro Pantigoso, président de l’association des pères et son épouse. Au mois de juin, Michel Azcueta, maire et l’un des fondateurs de la ville réussit à échapper à un attentat.
Après ces deux années douloureuses, Villa El Salvador se reconstruit petit à petit, mais le sentier lumineux a tout de même réussi à fragiliser la population. Résultats : les ménages se sont renfermés sur eux-mêmes et les organisations populaires sont au plus bas.

La CUAVES

La CUAVES n’est autre que la forme, en plus officielle, des assemblées populaires qui ont dirigé la ville dès ses débuts. Elle a été instaurée pour renforcer les organisations populaires et pour trouver des solutions aux problèmes auxquels la ville faisait face. La CUAVES a par la suite obtenue le soutien de l’organisme d’État qu’est le SINAMOS (système d’appui de la mobilisation sociale), mais s’en est émancipé rapidement.

Le sentier lumineux

Créé par un professeur de philosophie du nom d’Abimael Guzmán, le sentier lumineux est une organisation qui avait pour principal objectif de détruire le pouvoir en place. Pour arriver à sa fin, il utilisait un régime de terreur. Le sentier lumineux s’en est pris à la Villa El Salvador, car selon lui, cette petite ville du désert est une ceinture de fer et une barriada qui entoure la capitale.
Pour toucher le gouvernement, le sentier lumineux avait pour stratégie d’affaiblir les « pueblos jovenes », de détruire les idées de solidarité et les systèmes autogestionnaires. Pour le sentier, leur destruction était primordiale, car selon eux, ils retardaient la révolte des masses populaires qui devaient dénoncer l’absence de l’État sur le plan social. Aussi, le sentier a pris la Villa El Salvador comme étant une cible idéale, car au sein de la communauté, la gauche unie a toujours remporté les élections et pourtant, le sentier était totalement opposé à leurs idées.
Durant l’infiltration du sentier, la Villa El Salvador a été en très mauvaise posture, car d’un côté, elle subissait les attaques du sentier et de l’autre, les forces de l’ordre considéraient qu’elle appuyait les terroristes à savoir les membres du sentier lumineux.

Villa El Salvador la ville qui s est formee dans le desert

L’organisation communautaire de Villa El Salvador

Une véritable organisation sociale a été mise en place dès que les paysans se sont emparés des terrains que le gouvernement leur a cédés. Pour une parfaite harmonie au sein de la communauté, l’organisation a été basée sur le groupe résidentiel qu’on appelle également menzana ou pâté de maison. Chaque groupe résidentiel se compose de 384 familles soit entre 2 000 à 2 500 personnes. Un quartier compte 16 menzanas et au sein du quartier, les familles ont une maison et un parc public réservé aux services en commun.
Tous les ans, chaque groupe résidentiel élit cinq délégués pour régler les questions de logement, santé, cuisines populaires, sports, éducation, culture et activités économiques.
De par cette organisation communautaire, on peut dire que Villa El Salvador affiche encore son héritage indigène qui se traduit par une organisation sociale basée sur la loi du voisinage et de la réciprocité. C’est semble-t-il grâce à cela que les habitants ont réussi à vaincre le désert, la pauvreté et le sentier lumineux. Soulignons que la ville est connue pour sa culture de la non-violence qu’elle tient des communautés andines.
Au fil des ans, de nouveaux arrivants s’installent en ville et avec les militants de gauche, ils se rassemblent pour exiger au gouvernement qu’il fournisse des services.

Villa El Salvador brise le modèle colonial des villes d’Amérique latine

À Villa El Salvador, la place publique est décentralisée puisque chaque parc y fait office de centre d’un milieu de vie. La ville diffère alors des autres villes de l’Amérique latine par ce modèle puisque toutes les villes issues de la colonisation espagnole sont construites autour de la plaza mayor, de l’église, du palais de justice et parfois même de la prison.

Villa El Salvador a vaincu le désert

Au départ, le terrain n’était que désert et désolation. Aujourd’hui, on y trouve une zone agricole prospère grâce aux lagunes d’assainissement des eaux usées mises en place par les habitants. Au sein de la communauté, on retrouve des exploitations individuelles, communales et coopératives. Outre les vergers qui ont été mis en place, le maïs est le produit phare de la ville, car c’est grâce à cette denrée que les habitants nourrissent leurs vaches et leur permet alors d’avoir du lait et du fromage.
Le seul bémol dans ce désert devenu verdoyant est l’eau. En effet, malgré les installations d’eau, les habitants n’y ont accès que dix heures par jour.

Les femmes jouent un rôle important

La « fédéracion popular de las mujeres de Villa El Salvador » a été la plus importante organisation de la communauté. Dans les années 80, les femmes ont d’ailleurs joué un rôle majeur en maintenant la tradition autogestionnaire de la CUAVES. Elles avaient à leur disposition les cantines populaires et les comités du verre de lait pour s’affirmer tant sur le plan individuel que collectif. De nombreux leaders ont d’ailleurs jailli de la communauté féminine de Villa El Salvador à l’image de Maria Elena Moyano.

Les cantines populaires

Les cantines populaires sont encore un autre reflet de la solidarité des habitants. Lorsque la famine a fait rage auprès des foyers populaires péruviens dans les années 80, des organisations de survie ont été mises en place pour aider les familles les plus pauvres. Les « comedores populares » ou cantines populaires voient également le jour à Villa El Salvador. Cette organisation regroupe des mères de familles qui mettent en commun l’achat et la préparation des aliments. Aujourd’hui encore, la ville compte environ 400 cuisines collectives dont chacune regroupe une quinzaine de familles. Les cantines populaires est une autre preuve du rôle important des femmes au sein de la ville. Non seulement, elles aident leurs semblables, mais c’est également leur lieu privé où elles peuvent s’émanciper et se socialiser.
En règle générale, une cantine populaire obtient l’aide des ONG, des élus locaux et des organisations populaires, mais elle se base avant tout sur la participation de ses propres membres. Ces derniers pourront alors cotiser, faire des dons, mettre en œuvre la mutualisation des moyens, … Chacun participe tour à tour à l’élaboration des repas. Soulignons que les cantines populaires sont seulement les lieux de préparation de et distribution des repas. En ce qui concerne leur dégustation, chaque famille emporte son repas à domicile et vont manger en famille pour ne pas briser les liens familiaux.

Villa El Salvador d’aujourd’hui et de demain

La ville compte actuellement un peu plus de 350 000 habitants. Elle se compose de rues larges joliment bordées par des arbres et de maisons basses. Malgré la vision qu’elle offre au public, Villa El Salvador est une ville à part entière, mais demeure jusqu’ici encore un bidonville. Elle n’est toutefois pas un bidonville classique, car au sein de la ville, chacun est propriétaire de sa maison. Ce sont les conditions de vie qui lui font ressembler à un bidonville. Depuis quelques temps, la forte solidarité a fait place à quelques conflits sociaux favorisés par la crise économique et politique qui sévit au Pérou. Malgré cela, Villa El Salvador regarde en avant et fait même des plans pour l’avenir. Parmi ses principaux projets, on cite :
– La remise en place de la CUAVES
– La lutte contre la délinquance juvénile
– L’amélioration des conditions de vie dess nouveaux ménages
– La lutte contre les démarches individuelles qui rattrapent de plus en plus les démarches collectives
– La lutte contre l’évolution rapide de la pauvreté

Category: Voyage au Pérou

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *